Mauvais réveil
Forêt d’Homochitto, Mississipi
Samedi 20 septembre 1980, 6h00
J’entends du bruit à l’extérieur, un bruit de moteur, un gros véhicule. Je regarde l’heure sur le tableau de bord, six heures. J’ai dormi quatre heures. Je me sens engourdie, j’ai froid. Je scrute l’extérieur. Un pick-up Ford F250 s’est arrêté à quelques dizaines de mètres. Je vois deux hommes en descendre, vêtus de tenues de chasse. Les armes qu’ils sortent du camion me le confirment. Ils discutent entre eux et l’un des deux montre ma voiture du doigt. Je ne suis pas rassurée, j’attrape le revolver de Frankie et je le dissimule entre mes cuisses. Ils se dirigent vers moi, le fusil à l’épaule. Je pourrais sans doute démarrer et m’enfuir, mais je me sens bloquée. C’est ça la peur qui vous paralyse ? Ils sont maintenant au niveau de ma portière et me font des signes. Je comprends qu’ils veulent que je descende ma vitre. J’ai la main droite sur la crosse du SW, j’arme le chien. L’un des hommes commence à agiter la carrosserie. Je descends la vitre.
« Qu’est-ce que tu fais là de si bonne heure ? Tu as passé la nuit ici ? C’est pas prudent tu sais, tu pourrais faire des mauvaises rencontres, pas vrai Al ?
— Pour sûr, un joli petit lot comme cette souris, ça pourrait donner des idées, répond le dénommé Al.
— Remarque, elle a l’air crevée, c’est peut-être pas un si bon coup !
— Je m’en fous, Stan, c’est pas sa gueule qui m’intéresse. Elle a l’air d’avoir de beaux nichons. Tu voudrais pas nous les montrer ? »
Et voilà, ça recommence, j’ai peut-être tué un homme qui voulait me violer il y a moins de vingt-quatre heures et je me retrouve à devoir me défendre contre deux connards armés.
« Non, je ne vais rien vous montrer du tout, je vais juste me tirer d’ici en vitesse, crié-je en actionnant le démarreur.
— Tu vas aller nulle part, réplique Stan, pas tout de suite. Tu vas arrêter ton moteur et descendre de la voiture. »
Je cogite à toute vitesse, il y en a un à ma hauteur, si je tire par la fenêtre, je ne peux pas le manquer. L’autre est à ma gauche, devant le pare-chocs. S’il ne s’écarte pas, je lui passe dessus. Je passe en Drive et ma main droite empoigne la crosse du flingue. Je le brandis par la fenêtre et je tire. Stan s’écroule, je ne sais pas où je l’ai touché, je m’en fous. Al essaie d’attraper son fusil. Je ne lui en laisse pas le temps. J’écrase l’accélérateur. Je le heurte avec mon aile gauche. Je fais un demi-tour rapide pour quitter le parking. Dans le rétro, je vois Al qui se relève et qui épaule. J’entends le bruit du coup de feu, mais je ne détecte pas d’impact. Je retrouve la route et je roule aussi vite que l’état de la chaussée le permet. Arrivée à une bifurcation, je prends en direction du nord. Je suis à nouveau en cavale, je suppose que le tireur va s’occuper de son copain avant de me poursuivre. Il va lui falloir un peu de temps pour alerter quelqu’un, le patelin le plus proche est au moins à dix miles. Je n’ai aucun remords, après tout, hier comme ce matin, j’étais en état de légitime défense. Il n’empêche, je n’ai pas trop envie de discuter de ça avec le Shérif du coin, enfermée dans une cellule crasseuse. Je me croyais tranquille pour un moment au Mississipi. La trêve n’a pas duré longtemps.
Je conduis pendant à peu près une heure. Il fait grand jour à présent. C’est vrai que j’ai une sale gueule. Je ne suis pas descendue de la voiture depuis la pause de Woodville. Il faut que je m’arrête quelque part, que je trouve des fringues propres, que je mange quelque chose. Je ralentis pour jeter un œil sur la carte. J’arrive à la bordure nord, bientôt elle ne me servira plus à rien. Une agglomération, juste à la limite, Fayette. J’espère que je trouverai une supérette. Pour les fringues, je me débrouillerai. Au point où j’en suis, une chemise qui sèche sur un fil fera l’affaire. J’entre dans l’agglomération. Au bout de quelques centaines de mètres j’arrive au carrefour central. Je repère un Seven Eleven. Je gare la Jeep un peu à l’écart, pas la peine de se faire trop remarquer avec une plaque de Louisiane. J’achète un café, un sandwich et des barres chocolatées. Je prends aussi deux bouteilles d’eau. J’y laisse un billet de cinq. Retour à la voiture, je mange le sandwich et je bois le café au volant. Je me sens un peu mieux, mais j’ai toujours un besoin pressant. Il y a une station Texaco à la sortie de la ville. Je mets pour trois dollars d’essence et je profite des toilettes. Il y a quelques maisons à proximité. À cette heure matinale, il n’y a personne dans les jardins. Il a fait beau ces derniers jours, des lessives sont restées attachées sur les fils toute la nuit. Je rafle un t-shirt et une culotte qui semblent à peu près à ma taille. Pas besoin de s’attarder, je retrouve la Wagoneer et je repars. Une pancarte indique la direction de Vicksburg. J’essaie de me souvenir du cours de géographie au collège. Vicksburg, c’est sur le Mississipi, de l’autre côté, c’est encore la Louisiane. Je m’arrête à l’écart de la route pour me changer. Ma chemise et mon soutif puent la sueur et la crasse, je les roule en boule et je les jette à l’arrière de la Jeep. Pour le jean, je n’ai pas le choix, je le garde. J’enfile le t-shirt à même la peau. Il est un peu grand, tant mieux. Je n’ai plus que vingt dollars en poche, mais j’ai le plein d’essence.
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