Un petit job

Vicksburg, Mississipi
Samedi 20 septembre, 10h30

Ma situation n’est pas désespérée, mais je dois sérieusement trouver un moyen de gagner un peu d’argent. Il faudra aussi que je trouve un autre moyen de transport, la Jeep de Billy est un peu trop reconnaissable si les flics lancent un avis de recherche. À Vicksburg, les voitures immatriculées en Louisiane ne doivent pas manquer, mais au-delà, ce sera plus curieux. Il me faut aussi une nouvelle carte, ou mieux, un atlas, mais je n’aurai jamais l’audace de le voler dans une librairie. Il me faut un petit boulot, juste le temps du week-end, pour gagner quelques dollars avant de reprendre la route.

Je me dirige vers le centre de Vicksburg, je laisse sur ma gauche la bifurcation vers le pont et la Louisiane et je remonte de long de la rivière Yazoo. Le parking de la gare me parait le bon endroit pour abandonner la Wagoneer. Si on la retrouve, on pensera peut-être que j’ai pris le train pour Jackson. Je récupère mes vêtements sales, je range le flingue dans mon sac à main et je pars à pied vers les rues commerçantes. Je sacrifie encore quelques dollars dans une boutique bon marché pour m’acheter des sous-vêtements et des affaires de toilette. Je prends aussi un petit sac de voyage. Je rentre dans un coffee shop. J’en profite pour essayer de me donner meilleure allure. Je me lave les dents, je me rafraichis le visage et surtout, je me donne un sérieux coup de brosse dans les cheveux. Je regarde le miroir, il me semble que suis assez présentable pour me mettre en quête d’un job.

De retour dans la salle presque vide, je questionne la serveuse. Elle est sympa et appelle le patron. C’est un homme jovial qui m’explique que lui-même n’a pas besoin de personnel supplémentaire, mais me conseille d’aller me présenter dans un bar à quelques blocs. Il me note le nom de l’établissement et celui du propriétaire. Muni de ce précieux sésame, je me dirige vers l’adresse indiquée. Je remonte Washington Street jusqu’au croisement avec Main Street. Je n’ai pas de mal à trouver le Walnut Bar. C’est un établissement important, un grand comptoir de bois est équipé de plusieurs postes de tirage de bières. Il y a des écrans de télé qui diffusent des rediffusions de matchs, base-ball, basket, football, même de la boxe. À cette heure matinale, il n’y a pas grand monde. Je m’adresse au garçon derrière le bar et demande à parler au patron. Un grand type avec une carrure de lineman, des cheveux longs et une barbe fournie vient vers moi. Je lui expose mon expérience et mon besoin de travailler quelques jours. J’invente une histoire de voiture en panne que je n’ai pas les moyens de réparer pour justifier ma démarche. Il ne me pose pas de questions. Il m’examine rapidement et me déclare qu’il a une tenue à ma taille. Je peux commencer à deux heures et assurer le service jusqu’à la fermeture et aussi celui du dimanche. Il se trouve qu’une de ses serveuses habituelles est malade et qu’il n’a personne pour la remplacer. Il me propose cinquante dollars par jour plus les pourboires. C’est plus que ce que me donnait Billy. J’accepte sans hésiter. Comme je le sens enclin à m’aider, je lui demande également s’il connait un endroit où je pourrais dormir le temps de mon séjour à Vicksburg. Il note l’adresse d’une pension avec un mot de recommandation et me tend un billet de vingt, à titre d’avance. Je suis comblée. Il y a donc quand même des types bien dans ce pays.

L’adresse correspond à une petite maison, à quelque distance du centre, mais accessible à pied. Je me présente à une femme âgée. Elle prend le temps de lire le billet et me fait entrer. La chambre est à dix dollars la nuit, à payer d’avance. La salle de bain est commune. Je ne suis pas en situation de faire la difficile. Je lui donne mon accord et elle me conduit à l’étage. C’est une pièce de taille modeste, meublée dans un style un peu désuet, je me dis que ça a dû être une chambre d’adolescente, sa fille peut-être. Le lit est un peu mou, mais les draps sont propres. Je lui donne les dix dollars et demande si je peux utiliser la salle de bain tout de suite. Elle me l’indique et redescend.

Je fais couler un bain chaud. Le temps que la baignoire se remplisse, je lave ma chemise dans le lavabo. C’est pas la grande lessive, mais ça éliminera l’odeur de transpiration. Je me glisse dans l’eau et je me laisse aller un moment. Je pense à ma situation, pas question de m’éterniser dans le Mississipi. Je ne peux pas non plus revenir en Louisiane. Je dois continuer vers le nord. L’État le plus proche, c’est l’Arkansas. Je n’y ai jamais mis les pieds. Qu’est-ce que je serais allée y faire ? Il faudra que je me renseigne. Il y a sûrement des bus qui partent pour Little Rock. Dix minutes plus tard, je suis de retour dans ma chambre. Je me sèche les cheveux et j’étends ma chemise sur le dossier d’une chaise. Demain matin, je demanderai à ma logeuse si elle a un fer à repasser. Le temps a passé vite, il me reste juste le temps de déjeuner avant d’aller au travail.

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